LE LANGAGE DE L'ARCHITECTURE Contexte Un contexte peut se mesurer, mais il peut aussi toujours être modifié. Une œuvre n'existe jamais isolément. Elle est toujours située dans un contexte avec lequel elle entre en relation. Cette relation peut être platonique, fortuite, symbiotique ou nocive, mais ce sont les éléments propres à ce contexte et l'interprétation qui en est faite qui déterminent les termes du dialogue. Il se peut que Toute œuvre architecturale s'insère dans un contexte qui peut infléchir le sens du projet et, en retour, recevoir de celui-ci un renfort de signification. Bâtiment composite dont l'histoire s'étale sur plus de 600 ans, le Hofburg de Vienne en Autriche entretient depuis toujours un dialogue avec le contexte qui l'entoure. Venant s'accoler à la ville existante et combler les interstices urbains fragmentés, il forme tantôt des rues, tantôt des places ; d'autre part, il fait apparaître un axe auparavant illisible en formant un arrière-plan pour les rues adjacentes. Sorte de caméléon architectural, il se fond dans le contexte et s'approprie les limites urbaines, les brouille ou les génère. À travers son portique à colonne unique, la maison Einar Jonsson (Reykjavík, Islande, 1916) établit une présence monumentale lorsqu'on la voit depuis la ville en contrebas. À l'inverse, son autre face se présente à ce qui était au départ conçu comme un espace public aux proportions intimistes, intégré à un quartier résidentiel. C'est ainsi que le dessin de la maison a inspiré les échelles et proportions de la ville qui s'est développée alentour. Pour le Center for the Advancement of Public Action, achevé en 2011 pour le Bennington College, à Bennington (Vermont), Tod Williams et Billie Tsien ont utilisé du marbre récupéré d'anciennes carrières locales, nouant ainsi un dialogue avec le matériau de nombreux édifices publics des villes et villages du Vermont. Pour un projet donné, le contexte physique s'affirme comme la voix principale avec qui dialoguer, pour tel autre l'infrastructure, ou encore les éléments immatériels ou le contexte environnemental. Le dialogue peut s'établir sur des bases d'amitié ou d'adversité, de complicité ou d'exploitation, de mise en valeur ou de dédain, d'exposition ou de dissimulation. Pourtant, en dernière analyse, le projet est toujours à même de conférer une signification à un contexte, d'en intégrer les caractéristiques et d'en faire ressortir des aspects jusqu'alors insoupçonnés. Contexte physique Tout site comporte des caractères physiques déjà présents qui confèrent son identité unique au contexte dans lequel le bâtiment est implanté. Ces éléments peuvent jouer un rôle déterminant dans le choix du concept. Les bâtiments existants ont leurs propres caractéristiques en termes de dimensions et d'espace (hauteur, largeur, ouverture, volumes), de matériaux et de techniques de construction. Les topographies naturelles et artificielles (terrain plat ou en pente, dur ou meuble) peuvent être déterminantes dans la mise en place des relations entre le bâtiment et son site, et les vues à partir ou en direction du site confèrent une nouvelle identité à un contexte donné. Pourtant, même si on peut mesurer ces données, on peut aussi souvent les modifier : l'œuvre a toute latitude pour accentuer ou au contraire minimiser leur importance, en fonction de ce sur quoi on choisit d'attirer l'attention. Le matériau Le matériau peut créer un contexte : ainsi, dans un village fait de maisons en bois, on choisira sans doute de construire en bois. Parfois, le contexte est marqué par une essence particulière tirée d'une forêt locale ou par le granit d'une carrière voisine. On peut concevoir la maison comme le prolongement du sol sur lequel elle est bâtie : ainsi une maison de pierre sur un promontoire rocheux. On peut aussi la construire en briques, en référence à une briqueterie abandonnée à laquelle le village doit son existence même. En d'autres termes, le contexte matériel comporte de multiples facettes. L'échelle Au sein d'un contexte, deux types d'échelle sont à prendre en compte. L'un est l'échelle du site : un bâtiment implanté en pleine ville sera affecté par l'échelle de ce qui l'entoure, selon qu'il est intégré à un îlot d'immeubles ou entouré de gratte-ciel, ou par l'échelle du paysage environnant la ville (vaste plaine ou forêt dense). Álvaro Siza, le site et la vision Dans un projet architectural, la prise en compte du contexte est l'une des plus puissantes formes de dialogue, contact intime et chargé de sens, entre un existant et une proposition. Le Portugais Álvaro Siza Vieira est l'un des architectes dont l'œuvre exprime le plus finement cette interaction. Au fil de sa carrière, il a développé l'art d'intégrer ses bâtiments à leur contexte naturel et humain en des compositions virtuoses, si bien qu'elles semblent faire partie intégrante de leur environnement, même si celui-ci est en constante mutation. Par exemple, l'horizon est un thème récurrent dans le premier projet de Siza, le salon de thé de Boa Nova, à Leça da Palmeira. Des points de vue très maîtrisés Héfinissent les diverses relations du Dâtiment avec son contexte. Les marches menant à la porte d'entrée rappellent la proximité de la mer, la position au milieu Hes rochers, la large avancée du toit en Hébord qui abrite la maison. Dans l'axe de 'entrée, une longue ouverture basse morizontale réplique l'horizon toujours calme de l'océan, elle-même directement urmontée par une lucarne qui révèle un morceau de ciel, tandis qu'au-dessous, une autre fenêtre encadre une vue tout en contrastes sur le rivage rocheux. Plus récent, le Centre galicien d'art contemporain est entouré d'édifices aroques majeurs, notamment un ancien monastère d'où descendent des jardins en ascade. Si la pierre du musée évoque le granit des bâtiments voisins, elle est lairement appliquée en parement et non maçonnerie, paraissant parfois uspendue en l'air, et d'une surprenante nesse. Du côté le plus exposé au public, es volumes bâtis suivent le bord de la rue, Salon de thé de Boa Nova (1963), Leça da Palmeira, Portugal Tandis que des déformations subtiles altèrent leur profil, d'où l'impression que la forme du bâtiment change sans cesse, en fonction du point où l'on se trouve. Lorsque l'on approche depuis l'école avoisinante, l'angle formé par le porte-à-faux et la rampe inclinée semblent allonger la distance vers le monastère, faisant paraître l'édifice historique plus massif qu'il n'est. Depuis le monastère, ces mêmes angles déforment la perspective dans le sens inverse, raccourcissant la longueur apparente de la rue et réduisant le volume apparent du musée. L'appareillage régulier du parement de pierre souligne encore la distorsion de la surface. Côté jardin, la masse du musée semble se réduire et s'adapter à l'échelle de l'ancien abri de jardin, puis s'abaisser par degrés jusqu'à devenir un simple muret. Dans ses œuvres, Álvaro Siza Vieira ne se contente pas d'évoquer le contexte, il observe, analyse et même explique l'état de l'environnement, faisant se rejoindre des éléments oubliés du passé et d'autres que l'on découvre dans un présent toujours renouvelé. Comme le déclare Siza : « L'architecte n'invente rien, il transforme la réalité. » Par son travail sur les strates de réalité présentes sur un site, Siza parvient à produire des œuvres qui élaborent, élargissent, défient et même altèrent nos perceptions, démontrant ainsi que même des bâtiments achevés peuvent renouer sans cesse le dialogue avec leur contexte. Centre galicien d'art contemporain (1988-1993), Saint-Jacques-de-Compostelle, Espagne L'autre est l'échelle de perception, qui détermine les vues depuis le bâtiment et vers le bâtiment. L'espace L'espace se déploie essentiellement selon deux échelles. D'abord, un édifice s'insère dans un réseau d'espaces publics ; son mode d'insertion dans ces espaces détermine les conditions de son abord et de son orientation. Ensuite, le bâtiment a son propre réseau spatial intérieur, parfois privé : les circulations, l'accès à l'air libre, à la lumière et à la vue dépendent également de son intégration aux espaces publics. Le site : Le site naturel est doté d'attributs physiques spécifiques impénétrable ou poreux, plat ou en pente, irrégulier ou égal, permanent ou temporaire. Il s'agit parfois d'un élément construit qui fait office de base (bloc de bâtiment, mur de soutènement). Le site peut avoir une dimension visuelle, comme l'ensemble du paysage sur lequel il donne. Le dialogue établi dans ces conditions peut amorcer des complexités spatiales. Contexte infrastructurel Certains aspects du contexte intègrent déjà des réseaux et systèmes complexes : tantôt on peut en tirer parti, tantôt il faut simplement s'en accommoder. Ils ont parfois un caractère physique (strates archéologiques ou géologiques) ou existent en réseaux plus formalisés (infrastructures de transport et conduits divers). C'est par le dialogue avec ces infrastructures que le bâtiment s'intègre dans un contexte donné. Les strates Il arrive qu'un site ait connu des occupations antérieures, palimpseste archéologique fait de la stratification des marques anciennes. Il faut alors décider si, et comment, intégrer ces traces tantôt physiques, tantôt implicites, d'occupations passées, dans une nouvelle strate. Un musée construit sur une belle ruine romaine sera traité différemment d'une maison construite sur les vestiges d'une ancienne glacière. De même, la structure d'un site peut résulter d'événements géologiques encore plus La forme de la Maison panoramique des architectes Johnston Marklee et Diego Arraigada à Rosario, en Argentine, se déploie comme une réponse au contexte grâce à un travail sur les perceptions et l'environnement. Une série de distorsions formelles permettent de résoudre deux exigences apparemment contradictoires : préserver l'intimité des habitants dans un contexte périurbain, tout en cadrant des points de vue sur le paysage au loin. La direction des vents dominants et l'orientation par rapport au soleil situent la maison dans un contexte plus immatériel. La maison Tolo (2000-2005), à Lugar das Carvalhinhas- Alvite, Portugal, par Alvaro Leite Siza, accentue la pente du site en choisissant de s'intégrer à la surface du talus très abrupt, avec un escalier qui relie les réseaux de circulation supérieur et inférieur. La demeure devient un paysage de substitution, dans et sur lequel résident les occupants. La Cité de la culture de Galice (2001-2011), par Peter Eisenman, fait référence à la ville voisine de Saint- Jacques-de-Compostelle, en Espagne, en créant un paysage de substitution qui relie la topographie rurale avec le centre urbain. Ce paysage s'inscrit métaphoriquement dans les << ruisseaux >> piétons qui définissent les volumes des huit bâtiments du complexe. Pour le musée national d'Art romain, inauguré en 1986 à Mérida, en Espagne, Rafael Moneo s'inspire des ruines romaines de la ville, datant du premier siècle av. J.-C., auxquelles il superpose une série de murs en maçonnerie porteuse, où sont désormais exposées les pièces retrouvées lors des fouilles. Comme pour un site archéologique, la géométrie des murs parallèles reprend l'emplacement des ruines auxquelles ils se superposent et qu'ils traversent nonchalamment. Anciens susceptibles d'inspirer son évolution future. Une architecture qui prend en compte la nature de ces évolutions sur le long terme sera mieux à même d'anticiper les catastrophes potentielles. Les réseaux Organiser la relation entre un bâtiment et les réseaux existants de circulation et de service consiste à coordonner les différents systèmes grâce auxquels le bâtiment devient un élément vital d'un réseau plus vaste. Les divers parcours existants à toutes les échelles (piéton, automobile, vélo, transports en commun) peuvent être amenés jusque dans le bâtiment, ce qui permet non seulement de créer un accès, mais aussi d'intégrer le bâtiment à un ensemble plus vaste. L'accès aux divers services tels que l'eau, l'air, le tout-à-l'égout et l'électricité, constitue aussi un paramètre déterminant pour l'insertion du projet dans ce contexte élargi. Contexte immatériel Il existe des contextes invisibles de toutes sortes, qui exigent une forme d'enquête distincte : en témoignent, parmi mille exemples, la présence d'un Grand Prix de F1 dans la principauté de Monaco ou le chemin des Esprits au sanctuaire de Jongmyo à Séoul, en Corée, où seuls les esprits sont autorisés à marcher. Traditions, récits et histoires locales sont souvent intégrés aux constructions matérielles que produit une culture. L'hôtel de ville de Reykjavík, en Islande, construit en 1992 par le Studio Granda, crée un nouveau site sur le lac. Ce faisant, il collecte les parcours existants et en produit d'autres encore jamais vus. La forme obtenue devient un lieu de rassemblement du public, réinventé à chaque saison, à toutes les échelles, et selon divers récits. Ses murs couverts de mousse rappellent la flore et la faune des sagas, la porosité de ses volumes évoque une extension du contexte urbain ; le plan de circulation constitue un chemin piétonnier entre deux quartiers distincts et, en hiver, sert d'escalier vers le lac gelé. Les structures aquatiques en escalier étudiées par Klaus Herdeg dans le portefeuille de dessins accompagnant son exposition de 1967, Formal Structure in Indian Architecture, témoignent de la manière dont les rituels et coutumes d'une culture donnée trouvent leur expression dans les productions architecturales de cette culture. Les quatorze chapelles du Sacro Monte, près de Varèse, en Italie, achevées en 1623, contiennent des scènes de la wie du Christ, de la Vierge et des saints. Les chapelles jalonnent un itinéraire de pèlerinage à flanc de montagne, qui culmine avec Téglise de la Madonna del Monte. Chaque pavillon reconstitue le contexte spatial d'un des événements marquants de la vie du Christ. Comme les chapitres d'une histoire, chacune des chapelles est en relation avec les pavillons adjacents, créant un itinéraire continu à travers le paysage. La tradition Le contexte reflète parfois les rituels et traditions propres à la culture locale. On remarque alors des bâtiments particuliers ou des monuments jalonnant le parcours des cortèges, ou bien encore des espaces spécifiques abritant ces pratiques culturelles. Le récit L'architecture a la faculté d'illustrer une histoire, qu'il s'agisse de légendes et de guerres ou d'amours et d'obsessions. Une traduction est inévitable, et c'est par la perception de cette traduction que l'œuvre parvient à parler à l'usager et à raconter son histoire. Par sa géométrie, la maison Möbius, dessinée en 1993 par Ben van Berkel à Het Gooi, aux Pays-Bas, pour un couple avec deux enfants, parvient à mettre en espace dans son volume intérieur les rituels indépendants mais interconnectés des parents et des enfants : sommeil, travail et vie domestique. Les pyramides tronquées rouges de la Casa das historias Paula Rego, construite en 2008 par Eduardo Souto de Moura, à Cascais, au Portugal, font référence à un contexte à la fois séculier et religieux. Évoquant la cheminée de la cuisine du monastère d'Alcobaca mais aussi les tourelles pointues qui ponctuent la silhouette du Palais national de Sintra, non loin de là, elles situent le musée et l'interprètent à partir d'une multiplicité d'histoires et de contextes. L'histoire La lecture du contexte historique d'un site en révèle le passé. Elle permet de regrouper une série d'événements datant d'époques très différentes. Même s'il n'est pas forcément physiquement présent, le contexte historique reste vivace dans la mémoire des habitants. Contexte environnemental L'un des aspects cruciaux dans l'élaboration d'une structure est son contexte environnemental, contexte qui peut affecter le bâtiment d'une manière soit positive (par exemple offrir chaleur ou ombrage), soit extrêmement négative (érosion, effondrement). Le trait essentiel de ce contexte est qu'il évolue en permanence, de façon souvent imprévisible. En retour, le bâtiment a une responsabilité à l'égard de ce contexte : il doit au minimum faire bon ménage avec lui, mais il peut parfois même l'améliorer. La variabilité L'architecture a pour responsabilité d'anticiper les changements, souvent imprévisibles, de son environnement. Les événements extrêmes (inondations, tremblements de terre, ouragans ou avalanches) impliquent d'intégrer à la conception des paramètres qui sont fonction d'un environnement donné. Un bâtiment construit en zone inondable sera surélevé sur un promontoire de sable ; pour un autre, situé dans une zone à risque d'avalanche, on choisira une forme angulaire permettant son intégration au flanc de la montagne. Les données climatiques L'environnement connaît aussi des changements aux rythmes plus prédictibles, depuis un cycle de vingt-quatre heures jusqu'aux variations saisonnières. La capacité d'un bâtiment à anticiper les changements récurrents des éléments naturels tels que le soleil, la pluie et le vent, dépend du positionnement et des dimensions des ouvertures, de la pente des toits et des matériaux utilisés mais aussi, plus fondamentalement, de l'implantation du bâtiment dans le site physique. Construites il y a plus de 4 000 ans, des cours à ciel ouvert enterrées dans le sol ponctuent le paysage de la province du Henan, en Chine. Ces ingénieuses maisons souterraines profitent de la température relativement stable du sous-sol, gardant la fraîcheur en été et la chaleur en hiver, tout en laissant de la place libre pour les champs cultivés. La Double Chimney House, construite en 2008 par l'atelier Bow Wow à Nagano, au Japon, reflète le credo de l'agence selon lequel l'architecture d'un bâtiment doit exprimer le comportement de ses occupants et les éléments inhérents à l'environnement dans lequel il est construit. Ici, la maison scindée en deux affiches en permanence le programme (un côté pour les invités, un pour le propriétaire) et son environnement, dans la mesure où, soigneusement nichée sous les arbres, elle s'ouvre à la lumière du sud. La Réserve mondiale de semences du Svalbard, creusée dans les montagnes du Spitzberg (archipel norvégien de Svalbard), en 2008, conçue par Peter W. Søderman de Barlindhaug Consult, est une installation de haute sécurité prévue pour accueillir jusqu'à 4,5 millions de semences du monde entier. Elle est partiellement creusée sous une montagne censée la protéger des variations de température, des tremblements de terre, du changement climatique et d'autres menaces environnementales. Par sa forme et ses matériaux, l'entrée est conçue pour, résister aux risques d'avalanches et de tempêtes. Le toit et la façade de cette entrée servent de point de repère, signalant la présence de la structure tout en indiquant sa fonction comme source potentielle de renaissance de la vie. Cette sculpture, intitulée Perpetual Repercussion par son auteur, Dyveke Sanne, est composée de prismes, de miroirs et d'éclats d'acier, combinés avec des fibres optiques turquoise qui reflètent les nuances subtiles des lumières de l'Arctique ou bien émettent leur propre luminosité.
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Dec 30, 2023